Pendant les jours de la Semaine Sainte nous parcourons le même chemin que les disciples. Ce n’est pas une promenade, c’est un chemin de Foi. Ils passent de l’enthousiasme, à la déception, au désarroi et la crainte. Ils ont tout laissé pour suivre Jésus. Ils se retrouvent comme abandonnés, avant d’être illuminés par la Résurrection du Seigneur Jésus. Il faudra qu’ils le reconnaissent à la fraction du pain.
Tout cela, la liturgie va nous le faire vivre : « la liturgie, c’est la vie que la Bible reflète dans ses pages, réalisée concrètement dans une action cultuelle, à telle enseigne que le texte liturgique n’est guère qu’une mise en œuvre du texte biblique et que le sens de ce dernier y prend un relief saisissant » (Louis Bouyer, Le Mystère Pascal) . Ce n’est pas la mise en scène théâtrale d’un texte, mais la proclamation d’une Parole qui ne se limite pas aux mots. Le Mystère de Pâques, source et sommet de la vie chrétienne, est célébré dans toute Eucharistie, cœur de toute vie baptismale. « Il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle ; il voulait la rendre sainte en la purifiant par le bain du baptême et la Parole de vie » (Eph 5). Nous n’avons rien d’autre à faire que contempler Dieu réconciliant avec lui, en Jésus-Christ, toute créature.
La liturgie des ces jours est riche, et nous allons en évoquer plusieurs éléments qui nous permettront de parcourir ce chemin.
Le Temps
Le premier élément de la liturgie de ces jours, c’est le temps.
L’Heure de Jésus
C’est le temps de l’accomplissement. « L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié. (…). Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle. (…) Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? - Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12). Le Seigneur est venu pour cette heure. Il s’agit pour nous aussi d’entrer dans cette heure et dans ce temps.
Le Triduum Sacré
Ce qui se déploie sur 3 jours est ce qui se réalise mystérieusement dans chaque eucharistie. Au soir du Jeudi Saint, à la Cène, finalement, tout s’est passé comme d’habitude, et les paroles du Seigneur : « prenez et mangez, ceci est mon Corps… ceci est mon Sang », n’auront leur vrai retentissement qu’au soir de la Résurrection. Les disciples reconnaîtront le Seigneur Jésus à la Fraction du pain, au 3° jour après la Cène.
Les Vigiles
Il nous faut du temps mais ce n’est pas une attente vide ou sans objet, c’est le temps de l’écoute. « Vous n’avez donc pas compris ! Comme votre coeur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! » (Luc 24). Les Vigiles sont faites de psaumes et d’écoute de la Parole de Dieu. Il ne s’agit pas d’évoquer des souvenirs du passé, ou de faire comme si on ne savait pas ce qui allait se passer, mais se suivre l’« économie divine, si chère aux Pères, selon laquelle Dieu se révèle peu à peu aux hommes et ne leur donne des clartés nouvelles que lorsque les anciennes les y ont préparés » (Louis Bouyer, Le Mystère Pascal). « Ce que vous venez d’entendre, Dieu l’accomplit aujourd’hui devant vous » (Luc 4, 21)
La Messe Chrismale :
Dans la matinée du Jeudi Saint l’évêque, entouré de ses prêtres, de ses diacres et des fidèles de son diocèse, dans son église cathédrale, bénit et consacre les Huiles Saintes qui seront utilisées pour donner certains sacrements.
La promesse du Paraclet
Les 3 huiles bénies par l’évêque sont l’accomplissement de la promesse du Seigneur, avant la Passion de donner le Saint Esprit, « un autre Paraclet, pour qu’il soit avec vous à jamais » (Jn 14). Cet Esprit de Vérité qui vient du Père rendra témoignage au Seigneur Jésus (cf. Jn 15, 25). Plus encore, le Seigneur nous l’assure « C’est votre intérêt que je parte, car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous…quand il viendra, lui l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité toute entière (…) je ne te prie pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais » (Jn 17, 15).
Les huiles de nos vies quotidiennes
Nous utilisons dans nos vies quotidiennes des huiles à cause de leurs qualités. Un sportif, comme les soldats autrefois, va ainsi chauffer ses muscles. Appliquée en surface, l’huile pénètre en profondeur dans la peau jusqu’aux muscles, pour les disposer plus rapidement. Par ailleurs, pour certaines maladies, on va aussi user de pommades pour soulager la douleur, là aussi, par une action pénétrante et durable. Enfin, les parfums sont eux aussi des huiles, des essences. Nous ne les produisons pas nous-mêmes, mais lorsque nous les portons, ils deviennent notre odeur, et là où nous passons, par cette odeur, nous laissons la trace de notre passage.
Les huiles que nous utilisons signifient chacune un effet spécifique du Saint Esprit. Dans la tradition liturgique, ces huiles sont bénies à différents moments de la messe, ce qui manifeste plus nettement le caractère de chacune.
L’huile des malades
A l’action de grâce qui monte vers Dieu, correspond une bénédiction, qui est la réponse de Dieu pour nous, en notre faveur. A la fin du canon romain, on garde la trace de cette bénédiction des biens de la terre. Autrefois, c’était à ce moment là qu’étaient bénites les offrandes en nature, apportées pour servir à la vie des pauvres. Au cours de la messe Chrismale, avant d’achever la prière eucharistique, l’évêque va bénir l’huile des malades, précisément parce que cette huile va servir à la vie de ces pauvres que sont les malades, en leur donnant la grâce de la compassion au cœur de la maladie.
Le Saint Chrême
Après la communion, il va y avoir comme une deuxième prière eucharistique pour consacrer le Saint Chrême. Il sera utilisé pour le Baptême, la Confirmation, le Sacrement de l’Ordre et la consécration des autels. Son effet spirituel est identique à celui d’un parfum. Ce parfum vient d’un autre, le Christ, qui nous donne ce parfum, qui nous donne sa force, sa vertu, au point que son parfum devient vraiment le nôtre, sans cesser d’être à Lui. « Tout est à vous, vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » ( 1 Cor 3, 22-23).
L’huile des Catéchumènes
Enfin, avant l’envoi, à la fin de la messe, intervient la bénédiction de l’huile des catéchumènes, qui est utilisée pour préparer les catéchumènes au baptême. Juste avant l’envoi, parce que c’est l’huile qui prépare au combat de la vie chrétienne. Sur ce chemin du baptême, il faut se détourner de Satan pour s’attacher au Seigneur. C’est un combat, mais un combat dont la victoire est assurée une fois pour toutes par notre Seigneur. Toutefois, il faut que nous puissions nous approprier cette victoire en menant le bon combat. L’onction des catéchumènes donne la force de l’Esprit Saint pour mener ce combat.
L’oblation du Jeudi Saint
Le Triduum Pascal commence au soir du Jeudi Saint, avec la Messe du soir en mémoire de la Cène du Seigneur.
Le Lavement des pieds
La cérémonie la plus marquante de cette messe est le Lavement de pieds, où le prêtre ayant déposé sa chasuble, vient se mettre à genoux devant 12 hommes, pour leur laver et leur embrasser les pieds. Ce geste pourrait paraître saugrenu au cours de la célébration eucharistique, surtout si on le considère comme une simple reconstitution historique. Par ce geste est préparée le sacrifice du Seigneur, son oblation : « je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir et donner ma vie en rançon pour la multitude ».
La Sainte Cène
Ce geste, évoqué en St Jean, montre qu’il n’y a « pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Ce don de soi, le Seigneur l’accomplit au cours de la Cène. Ce repas rituel n’est pas un événement de la vie ordinaire dans le simple but de se nourrir. Ce repas sacré est le mémorial du Passage de la Mer Rouge. Même si ce repas n’est pas ordinaire, il n’en fait pas moins partie de la vie des disciples, et ainsi le Seigneur nous permet que ce repas puisse être aussi notre repas et notre sacrifice. Pourtant, les disciples semblent n’avoir pas compris tout de suite ce qu’il y avait de nouveau.
L’immolation du Vendredi Saint
Journée a-liturgique
Le premier élément de ce jour est le fait qu’il n’y a pas de célébration du sacrifice eucharistique. C’est un jour de passivité liturgique. Ma vie, dit le Seigneur, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne. En ce jour, toutefois, ce n’est pas le Seigneur qui semble avoir l’initiative. L’oblation du Seigneur, le don radical de soi du Seigneur, au soir du Jeudi Saint, s’accomplit ici dans l’immolation.
La Passion et la vénération de la Croix
La lecture solennelle de la Passion ne fait pas de nous des spectateurs de ces événements. Nous pourrions regretter de n’avoir pas été témoins de ces choses là, pourtant « leurs réalités n’était pas plus proche de leurs témoins oculaires que de nous à qui la parole divine s’adresse dans l’Eglise » (Louis Bouyer, Le Mystère Pascal).
Ce que nous vénérons dans la croix, ce n’est pas la souffrance, mais la révélation parfaite et radicale de l’amour du Christ.
La Communion du Vendredi Saint
En ce jour, même si le sacrifice eucharistique n’est pas offert, il y a une communion avec les hosties de la messe du Jeudi Saint. Le Jeudi Saint, dans l’oblation se profile déjà le mystère de la Croix ; le Vendredi Saint, au cœur du scandale de la Croix, par la communion, la Victoire du Christ est manifestée. « Tout ce que nous avons vu le Christ souffrir aujourd’hui dans sa Passion n’est pour la foi que l’accomplissement de l’acte qu’il avait posé la veille dans une souveraine liberté » (Louis Bouyer, Le Mystère Pascal).
Le Silence et l’attente du Saint Sabbat
Le Samedi est marqué par un silence de recueillement et d’attente ; nous repassons dans notre mémoire « les événements de ces jours-ci. Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth : cet homme était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple. Les chefs des prêtres et nos dirigeants l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël » (Luc 24).
La Nuit Sainte
Feu et Lumière
Dans la nuit, ce feu nouveau et le cierge Pascal représentent l’évènement de la Résurrection qui irradie d’une lumière nouvelle les événements de la vie du Seigneur, et inaugure un jour nouveau et une vie nouvelle.
Les rites et les marques de révérence envers le Cierge Pascal montrent qu’il manifeste la présence du Christ ressuscité, à la manière d’une lumière qui illumine notre vie et nos ténèbres.
C’est à cette lumière que sont relus les textes prophétiques de l’Ancien Testament au cours de la Vigile.
L’Eau du Baptême
L’eau baptismale est celle de la Nouvelle Création, celle du nouveau Passage de l’esclavage à la vie. Au jour de l’Ascension, qui a conclu les 40 jours de manifestation du Christ Ressuscité, le Seigneur a dit aux Apôtres : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 19-20). Désormais, c’est par le baptême que le Seigneur est avec nous, manifestant par là que cette vie nouvelle est une vie avec le Christ.
L’Eucharistie
« Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. (…) A l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « C’est vrai ! le Seigneur est ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » A leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment ils l’avaient reconnu quand il avait rompu le pain. » (Luc 24)
Ce qui est manifesté aux yeux de la foi, en ces jours, c’est la réalité même de ce qu’est notre vie chrétienne, notre vie baptismale, qui est une vie avec le Seigneur Jésus. Dans la liturgie, c’est Lui que nous écoutons, Lui qui nous conduit, Lui qui se livre et nous sauve, Lui qui nous donne son Amour, Lui qui se laisse reconnaître et approcher
Abbé Bruno Gerthoux
2008