Est-il besoin de le redire, nous vivons une période éprouvante à tous égards. Etonnement, malgré le confinement et les nécessaires mesures de « distanciation sociale », nous constatons que les liens humains se sont précisément renforcés : entre voisins, entre amis, dans les familles, avec les commerces et commerçants de proximité... Souvent, bien sûr, cela passe par moyens de communication sociale : téléphone, caméra, internet. Et ces moyens sont plus utilisés qu’à l’ordinaire, pour nourrir, entretenir et garder l’essentiel.
En effet, dans cette situation, nous éprouvons le besoin de voir ceux à qui nous tenons, ceux qui nous sont proches, nos amis. Une personne me confiait que des contacts familiaux étaient plus réguliers avec des personnes qu’en temps ordinaire on voit peu et qu’on appelle rarement. Ma propre sœur me le faisait remarquer, cette période nous semble interminable, alors qu’il nous arrive de rester plusieurs mois sans nous voir ! Or, nous éprouvons le besoin plus fort de les voir, d’être proche d’eux, d’une certaine manière, de leur exprimer notre attachement, de leur dire combien ils comptent pour nous, et cela plus qu’à l’acoutumé, en raison des circonstances. Et parce que cela ne remplace pas le contact direct et réel, nous multiplions les moyens et les initiatives.
Cela est vrai aussi pour notre vie chrétienne, notre vie de foi. J’avoue avoir eu un peu de mal à prier « devant ma télévision » lors de la bénédiction Urbi et Orbi de notre pape. Il m’a fallu du temps, et il aurait fallu que je prenne plus de moyens pour me rendre plus attentif et disponible. Or, en priant le chemin de croix avec les bienheureuses martyres d’Orane, j’avais retenu une phrase de la méditation de la XV° station que j’avais moi-même écrite : « ces bienheureuses nous ouvrent le chemin d’une vie chrétienne et sacramentelle aussi simple qu’héroïque ». De fait, ces religieuses ont vécu une forme de confinement dans des circonstances particulières, et leur témoignage peut nous aider nous aussi.
Leur confinement, si l’on peut l’appeler ainsi, fut tout d’abord volontaire. Ursulines, sacramentines, cisterciennes, bénédictine, elles ont choisi, par amour, de quitter le monde et donner leur vie à Dieu par leur consécration religieuse, dans un couvent ou un monastère. Elles l’ont vécu dans la joie, puisant dans la prière liturgique, les sacrements et la vie commune, les forces et les ressources pour surmonter les épreuves inévitables dans toute vie.
Ensuite, les révolutionnaires les ont contraintes au confinement, les forçant d’abord à quitter leurs couvents et monastères, ensuite en les enfermant en prison. Là, dans la promiscuité, dans des conditions non seulement précaires, mais aussi insalubres, elles furent privées de leur liberté, de leur intimité et des sacrements. Et par là, elles étaient privées tangiblement, sensiblement de Celui à qui elles ont donné leur vie par amour. Or, un point m’a toujours marqué dans le témoignage des bienheureuses martyres d’Orange, c’est précisément, dans ces conditions, leur vie sacramentelle héroïque, sur laquelle j’ai plusieurs fois prêché et écrit.
En prison, privées de tout ce qui faisait leur vie habituelle, elles ont commencé par mettre en commun ce qu’on n’avait pu leur retirer : leur consécration religieuse, « elles sacrifièrent à l’esprit d’union et de charité les différences qu’auraient pu mettre dans leurs pratiques et dans leurs façons de vivre leurs différentes règles », affirme la relation de 1794. Elles ont multiplié les moyens de vivre et de recevoir d’intention, dans la foi, ces sacrements dont elles étaient privées par la force.
Prier avec les bienheureuses martyres d’Orange
Dès 5 h du matin, après les prières du matin, pour s’unir au sacrifice eucharistique, elles disaient les prières de la messe. Après 8 h elles faisaient les prières de préparation à la mort et recevaient d’intention le sacrement des malades (l’extrême-onction). Ensuite, jusqu’à 9 h, elles renouvellaient les promesses de leur baptême, de leur confirmation et les vœux de leur consécration religieuse.
La journée était longue, comme l’attente angoissante de l’appel au tribunal et l’annonce des exécutions. Ce temps était consacré à soutenir les plus faibles qui perdaient confiance, comme ce homme marié, desespéré à l’idée d’être contraint d’abandonner sa famille et que les paroles ne consolaient plus. Alors l’une des religieuses vint à son secours en priant une heure de temps, pour lui, pour son épouse et ses enfants, les bras en croix, et obtint que cet époux et père reprenne confiance et courage. Leur exemple, leur persévérance, leur constance fut aussi un soutien pour les prêtres qui partageaient leur sort et parfois, malgré la grâce de leur ordination, perdaient aussi courage.
Le soir, enfin, leur prière accompagnait ceux qui étaient condamnés et allaient être exécutés. Sur le chemin qui les conduisait à la guillotine, les religieuses condamnées recevaient d’intention le sacrement de réconciliation, sachant qu’un prêtre caché dans un maison, leur donnait l’absolution.
En tout cela, malgré les conditions, malgré les circonstances, elles ont gardé l’essentiel, ce qu’on ne pouvait pas leur enlever ; elles ont continué à vivre et à recevoir la grâce des sacrements, même si elles ne pouvaient physiquement, sensiblement les recevoir. Elles ont vécu héroïquement et simplement cette vie chrétienne et sacramentelle, et assurément elles nous sont un exemple, un encouragement, une aide pour vivre notre vie chrétienne et sacramentelle aujourd’hui.
Abbé Bruno Gerthoux, curé de Robion et des Taillades