C’est ainsi que saint Pierre conclue une exhortation à la charité dans l’attente du retour du Seigneur : « ayez entre vous une charité intense, car la charité couvre une multitude de péchés » ( 1 P 4, 8). Ce sont aussi les derniers mots de l’épître de saint Jacques (cf. Jc 5n 20), justifiant la conversion du pécheur. L’un et l’autre puisent dans le trésor de la Sainte-Ecriture, où ce principe essentiel est déjà affirmé par le prophète Tobie : « l’aumône sauve de la mort et elle purifie de tout péché » (Tb 12, 9) ou encore au Livre des Proverbes : « l’amour couvre toutes les offenses » (Pr. 10, 12). Il ne s’agit pas d’une justification à bon compte, de l’expression d’une piété mièvre et naïve ou encore d’une simple formule de style. Il y a là bien plus. Cette expression, en une phrase simple, condense et proclame toute la logique de l’Evangile.
La charité dont parle la Sainte-Ecriture n’est pas un simple sentiment - une émotion - qui serait cantonnée, voilée et comme enfermée dans le secret du cœur. La charité, d’une certaine manière, c’est plus que l’amour. La charité c’est l’amour qui se manifeste concrètement, en acte, qui ne reste pas enfermé dans les cœurs, qui ne se limite pas à des vélléités. Saint Pierre détaille : hospitalité, service, exhortations, ou encore le prophète Tobie qui assimile aumône et charité. Ce qui est ainsi affirmé c’est la puissance, la valeur, la primauté de l’amour qui se manifeste en acte et porte du fruit. Le moindre geste, le moindre acte de charité a plus de valeur, plus de force, plus de puissance dans le bien, que n’aurait une multitude de péchés dans le mal.
Loin d’enlever quelque consistance à la réalité et à la gravité du péché, cela le met à sa place et nous permet d’en prendre la vraie mesure. En effet, il y aurait une façon de voir et d’aborder le péché, de lui donner une place et une puissance plus forte que la charité, qui serait encore une manière d’y tomber. Le péché nous blesse d’abord chacun gravement, parce qu’il blesse - parfois jusqu’à la mort - notre capacité d’aimer et d’être aimé et notre liberté. Or, c’est dans cette capacité d’aimer et d’être aimé, dans notre liberté, que nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est aussi pour cela que le péché blesse Dieu, et affecte par suite notre relation à Dieu.
Bien sûr, nous devons prendre le péché au sérieux, mais sans nous laisser piéger par celui-ci. Aussi, et à plus forte raison, nous devons prendre au sérieux la charité, l’amour vécu en acte et en vérité, non seulement comme un moyen de guérir et de vaincre le péché, personnellement, mais aussi comme un moyen de libérer notre prochain de son emprise, et encore pour vivre, ici et maintenant, de cet amour infini de Dieu. Vivre la charité qui couvre une multitude de péchés, c’est nous donner ainsi les moyens de percevoir sensiblement cet Amour Infini de Dieu capable de miséricorde. Dans cet amour vécu, en actes et en vérité, même modestement, Dieu se dévoile
Si le péché nous enferme et nous isole, la charité nous rapproche, nous rassemble, nous unit. Elle le moyen de la communion de saints – communio in sancta -, qui nous unit au peuple immense des saints, et nous permet de puiser dans le trésor de leurs mérites.
abbé Bruno Gerthoux, curé de Robion et des Taillades