Dans ma formation j’ai souvent entendu citer - et j’aime, moi aussi, à citer – le dernier canon du Code de Droit canonique qui invite à ne pas : « perdre de vue le salut des âmes qui doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême ».
Plus qu’une simple formule de langage, ce sont littéralement les derniers mots du Code de Droit canonique, comme pour rappeler que les 1751 canons qui précèdent n’ont de sens que par rapport à cette loi suprême. C’est ce salut des âmes qui doit toujours être devant nos yeux, présent à notre cœur, orienter notre manière de vivre et d’agir. Tout ce qui précède et ce qui en découle n’a de sens, de valeur, d’opportunité que par rapport à cette loi suprême. En le perdant de vue, nous risquerions de tomber dans le formalisme juridique, ou les règles ont plus d’importance que leur raison d’être et leur finalité.
Ce qui est vrai pour le Droit canonique, l’est aussi non seulement pour toute la vie de l’Eglise et de la foi, mais aussi pour toute vie humaine. En effet, le salut de l’âme n’est pas une vue de l’esprit, mais c’est une réalité de la foi et de la vie chrétienne et donc humaine. Perdre de vue cela, c’est oublier que l’être humain ne se limite pas à ce qu’il est, à ce qu’il fait, à sa santé physique, à son bien-être matériel. Bien sûr, tout cela compte aussi, mais à sa place. J’aime à définir l’âme comme notre capacité d’aimer et d’être aimé, or cela ne se mesure ni à nos capacités physiques ou intellectuelles, ni à notre âge, ni à nos connaissances, ni à nos entreprises et réalisations, ni à notre santé, ni à notre puissance et nos richesses. Une maison est une composition de différents matériaux, pourtant tout amas de matériaux n’est pas une maison ! Et une maison vide, qui n’est ni habitée, ni utile est vouée à la ruine.
Le salut de l’âme ne peut être réduit à une sorte de récompense probable pour la vie éternelle, après cette vie dans le temps et l’histoire. C’est ici et maintenant que s’enracine le salut de l’âme, et porte du fruit dans la vie éternelle. Le salut de l’âme c’est prendre conscience, prendre la mesure et vivre cette réalité que nous sommes capables d’aimer et d’être aimés par Dieu. Cette amour, ce salut a été préparé et annoncé dans l’Ancien Testament, il nous a été dévoilé et fut accompli par Notre Seigneur Jésus, en particulier dans le mystère de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection. Ce salut nous est donné dès aujourd’hui, dans la foi, par les sacrements par lesquels nous sommes aimés et nous aimons Dieu, par lesquels, par son amour qui nous est donné, sa grâce nous fait vivre. IL nous sauve, il sauve nos âmes, il est Dieu Sauveur, Jésus.
Lorsque nous perdons de vue cela, nous risquons de saucissonner et morceler notre vie et ce que nous sommes, conditionnant notre bonheur à l’absence de problème ou difficulté, le limitant à la santé physique, ou au bien-être matériel ! Que de déceptions, de déconvenues, de tristesse, de peur peuvent naître de cette vue partielle de notre vie.
Parler du salut de l’âme, ce n’est pas mépriser ou ignorer notre vie présente avec ses difficultés et ses épreuves – comme en ces périodes avec la menace d’une épidémie -, c’est au contraire laisser chaque réalité à sa place, et voir notre vie dans son unité, dans sa force, dans tout ce qu’elle contient d’espérance. C’est ainsi s’attacher à ce qui est essentiel, vital, fondamental, éternel et prendre les moyens de le vivre.
Abbé Bruno Gerthoux, curé de Robion et des Taillades