Au lendemain de la publication du rapport Sauvé, du nom du président de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise mandatée par la Conférence des Evêques de France, nous fêtions saint Bruno, fondateur de l’ordre des Chartreux. Ce jour-là, la devise des chartreux m’a apporté soutient, lumière et réconfort : Stat crux dum volvitur orbis ! Ce qui pourrait se traduire librement : la croix demeure alors que le monde s’agite, change, est bouleversé.
A la publication de ce rapport, nous avons pu entendre ou lire de nombreuses réactions. Tout propos est maladroit, insatisfaisant. Je voudrais malgré tout dire quelques mots. Quoi qu’il en soit, quelques soient les chiffres, un seul acte, une seule victime est déjà de trop : « si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour d’un cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » (cf. Mt. 18, 6).
L’agitation du monde peut être légitimement celle de sa réaction au mal, au scandale, à la souffrance, à la mort. Nous ne pouvons demeurer impassible devant de telles réalités, nous ne pouvons rester passifs et sans réaction. Nous ne pouvons ignorer, commenter ou contester cette souffrance. Mais l’agitation et les changements du monde peuvent aussi parfois engendrer d’autres maux. Ni excuse, ni légitimation, ni justification pour le mal : « la vérité vous rendra libre » (cf. Jn 8, 32).
La croix demeure ! Malgré la résurrection de Notre Seigneur et sa victoire sur le mal et la mort, la croix demeure. Elle n’est pas effacée, elle n’est pas oubliée, et Notre Seigneur ressuscité porte en sa chair les marques de la passion, ses plaies aux poignets, aux pieds et au côté. Ces marques sont mêmes, pour les disciples, le moyen, le signe par lequel ils le reconnaissent. Ces marques sont le signe de son amour, plus fort que la souffrance et la mort, qui nous conduit, nous aussi, à la victoire.
Cette croix qui demeure est d’abord celle que portent les victimes et qui marque leur chair, leur cœur, leur vie. Pas d’excuse, ni légitimation, ni justification. C’est une réalité qui est là, une souffrance incontestable, une blessure qui continue à affecter ces victimes.
Cette croix, c’est celle que nous portons chacun. « Celui qui veut venir à ma suite, dit le Seigneur, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Nous n’échappons pas à la croix, dans ce qu’elle a d’éprouvant, même si elle nous inquiète, nous effraie, nous agite, nous bouleverse, même si nous serions tentés de l’évacuer.
Notre Seigneur a été condamné à mourir sur la croix à la suite de la trahison de l’un de ses disciples, l’un de ceux qu’il avait choisis pour être avec lui, les envoyer prêcher, et aller partout où lui-même devait aller. C’est l’un des siens, l’un de ses proches qui avait sa confiance qui le trahit. C’est bien aussi ce qui au cœur de ce drame : ils ont trahi le Christ, ils ont trahi l’Eglise, ils ont trahi ceux dont ils ont fait des victimes, ils ont trahi leur mission, ils nous ont trahi. Parmi les Douze, un seul a trahi, et cela a suffit pour conduire à l’arrestation, à la condamnation et à la mort de Notre Seigneur. Cela a conduit les autres disciples à être dans la peur, l’inquiétude, l’angoisse, l’agitation.
La croix demeure ! Même si pour nous, après la résurrection de Notre Seigneur, elle est devenue un signe de victoire et de salut, rien n’est effacé de ce qu’elle est comme instrument de souffrance et de mort. Cela doit nous conduire chacun à entrer dans un chemin de conversion, de vérité, de miséricorde, de compassion.
Abbé Bruno Gerthoux, curé de Robion et des Taillades