J’ai une crainte : à vouloir trop spiritualiser le carême nous risquons de le désincarner, de le déshumaniser, de n’en faire au mieux qu’une démarche symbolique, au pire un organe témoin ou une ruine, dans tous les cas sans substance, sans contenu, sans réalité. Assurément, la finalité est spirituelle, puisque le but est de nous préparer à entrer, célébrer et comprendre les mystères essentiels de notre foi, pour en vivre toujours plus pleinement, authentiquement et en toute vérité. Pour autant, ce carême doit être réel et humain.
Le carême est d’abord une démarche personnelle, individuelle, intime qui implique chacun de nous dans toutes les dimensions de son être et de sa vie. Que la finalité soit spirituelle n’exclut aucunement les autres dimensions de notre vie. Dans notre démarche de carême, il est important de prendre en compte notre dimension corporelle, physique, humaine. Il s’agit moins de dompter notre corps, comme s’il était un animal sauvage, que de s’assurer de n’en être pas l’esclave, pour préserver notre liberté. Il est important aussi d’enrichir notre esprit, notre intelligence, notre connaissance, parce que nous ne pouvons aimer et vouloir vraiment et toujours plus que ce que nous connaissons, cela implique de prendre du temps pour lire, écouter, questionner, comprendre. Il est encore essentiel de prendre les moyens de nourrir notre âme, ne serait-ce que par une vie de prière plus régulière, quelle qu’en soit la forme (adoration, oraison, contemplation, intercession, chemin de croix, chapelet...). Au fond, il s’agit de reprendre possession de ce que nous sommes, de toute notre vie.
Le carême est aussi une démarche communautaire et fraternelle. Il faut faire notre carême pour notre prochain, comme un acte de charité. Il ne s’agit pas seulement, en effet, de faire le carême comme une activité personnelle, individuelle, qui nous confinerait à l’isolement voire à l’égoïsme. Nous pouvons avoir l’impression – l’illusion ! - de n’avoir pas besoin des autres, mais nous sommes-nous posé la question de savoir si les autres n’avaient pas besoin de nous, de notre présence, de notre prière, de notre témoignage sinon de notre exemple ? C’est ainsi faire l’expérience concrète de ce qu’est l’Eglise, où chaque membre - quelle que soit sa dignité - est essentiel à la vie du corps tout entier.
Enfin, notre carême est aussi une demarche sociale ou sociétale. J’entends parfois des personnes déplorer que les médias semblent ignorer le carême. Or les médias ne transmettent que ce qui se voit, les événements, les faits. Ce qui ne se voit pas, passe évidemment inapperçu ! Vous savez, il n’est pas rare qu’au bar du coin, on me demande « qu’est-ce qu’il y avait dimanche à l’église, pourquoi est-ce qu’il y avait tant de monde ? » Une église vide ne se voit pas ! Faut-il attendre qu’elles soient profanées pour en parler ? Le témoignage vivant de la vie de la communauté chrétienne est une réalité. Lorsque la communauté chrétienne vit le carême comme un événement personnel et fraternel, alors il est aussi un événement au cœur même de la société.
abbé Bruno Gerthoux, curé de Robion et des Taillades