Vendredi dernier, en méditant le chemin de croix avec saint François de Sales, à la Xe station, je fus saisi par ses paroles : « s’il nous arrive de perdre des biens et que notre cœur s’en afflige beaucoup, c’est une preuve que nous y avons beaucoup d’affection : car rien ne témoigne tant l’affection à la chose perdue que l’affliction de sa perte ». J’ai pensé à vous : ma famille, mes amis, mes frères dans le sacerdoce, mes paroissiens, tous ceux que je suis amené à rencontrer dans ma vie et mon ministère.
La solitude ne me pèse pas, je la recherche souvent et je l’aime. Ceux qui me connaissent bien savent que j’aime à dire « je n’aime pas les gens », certes, ce qui ne m’empêche pas d’aimer mon prochain, bien au contraire ! Et cependant, après ces quelques jours de confinement, je ressens ce manque. J’imagine combien cela doit être encore bien plus éprouvant et douloureux pour ceux pour qui la solitude est un poids.
Chaque jour, dans l’église, je célèbre la messe en pensant à chacun de vous, en vous portant dans ma prière. Alors qu’habituellement, en semaine, je célèbre la messe dans la chapelle de Notre-Dame, j’ai fait le choix, depuis le confinement, de célébrer la messe à l’autel principal, dans la nef. Bien sûr, les bancs sont vides. Je sais qu’un prêtre a demandé à ses paroissiens de lui envoyer leur photo et les a affichées sur les bancs de son église. Mais pour moi, une place vide est toujours le signe de celui qui manque, de celui qui n’est pas là. Or, même hors confinemet, il y a toujours des places vides, la « place du pauvre » de la tradition populaire, la place de celui qu’on attend, de celui qu’on espére, de celui auquel on pense, de celui que l’on aime, quelles que soient les raisons pour lesquelles il n’est pas là.
Il est surprenant de constater combien on prend conscience de la place, de l’importance, de la valeur qu’ont toutes ces personnes qui font partie de notre vie, de notre quotidien, de notre ministère et qui pourraient passer presque inapperçues pris dans la routine des habitudes. Evidemment, il y a le téléphone, internet et bien des moyens de garder et entretenir un contact visuel, sensible, mais cela met encore plus en évidence combien les relations humaines s’enracinent plus profondément dans nos cœurs, dans nos vies et ne se limitent ni à ce qui se voit, ni à l’utilité ou à l’efficacité.
Dans la foi, nous le savons, nous ne sommes jamais vraiment complètement ou absolument seuls. En cette période, de manière en plus évidente et sensible, je fais l’expérience de la douce et tendre présence du Seigneur dans la célébration de la Sainte-Messe et le chant des offices liturgiques, où le chant grégorien, « chant de l’âme », soutien et console ma prière. Toute la tendresse de Dieu se manifeste dans la liturgie, et je vérifie toujours plus la réalité de cette conviction. Pour le coup, j’ai de la chance.
A cet égard, je pense aussi à chacun de vous, et vous porte avec d’autant plus de ferveur dans ma prière, vous qui ne pouvez participer aux offices. Dans ces conditions de confinement, je me sens bien inutile et démuni – comme beaucoup d’entre-vous, sans doute -, mais dans la célébration de « ma » messe , en célébrant, comme le dit la liturgie, ce sacrifice qui est aussi le vôtre, j’accomplis mon service de prêtre, et je prends d’autant plus conscience de la réalité de celui-ci. Combien cette période est héroïque et vertueuse pour la vie de prière de chacun de vous.
Abbé Bruno Gerthoux, curé